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Il accorda un sourire de vainqueur à Jensen. Légèrement horrifié, ce dernier se passa une main sur la figure. Il se sentait encore faible d’avoir dépensé toute sa magie pour défendre le village, seule une bonne nuit de sommeil ou une fiole entière d'énergie liquide pure le remettrait d'aplomb (et il n'aimait pas se servir des fioles, non seulement étaient-elles chères et rares mais en boire une d'un coup le saoulait aussi sûrement qu'un tonneau de bière).
Il fallait avouer que le Paladin était tombé à pic. Quelques minutes de plus et il ne serait rien resté du village, ni de Jensen.
« Offert par la maison », avait annoncé mademoiselle Alba en déposant l'équivalent d'un banquet sur la table autour de laquelle ils s'étaient assis.
De toute évidence, elle aurait bien démontré sa gratitude au « Paladin Jared, pour vous servir, mademoiselle » autrement. Jensen leva mentalement les yeux au ciel puis se concentra sur un problème plus pressant. Le retour au palais. À la capitale. Les rues bondées, les regards des nobles, les obligations royales.
« Pourquoi moi ? soupira-t-il.
— On m'a dit que vous étiez parmi les meilleurs ! s'enthousiasma Jared. Et puis, les monstres s'en prennent à tous ceux qui ont un niveau de magie supérieur à trois, alors vous êtes en danger et vous mettez le village en danger. »
Jensen le fixa du regard.
« Vous dites ça pour que je vienne sans protester. »
Jared sourit avec une béatitude toute paladine et de toute évidence complètement feinte.
« Mais non, que dites-vous là ? »
Il ne se laisserait pas avoir.
Les paladins, pour la plupart, étaient des brutes épaisses qui répondaient à la Grâce sans réfléchir (et Jensen avait eu l'occasion de lui parler, à la Grâce. Déjà elle n'avait rien de féminin, sa véritable apparence était celle d'un type mal rasé aux yeux tombants qui parlait par devinettes pour le plaisir et adorait envoyer ses Paladins désherber les allées, dans prétendu but de sauver le monde de l'invasion des Baobabs, un arbre-monstre légendaire censé être capable de dévorer tout l'univers.) Ils étaient fleur bleue et aussi rigides que leurs glaives, incapable d'imagination et de comprendre la zone grise dans laquelle flottait la magie. Mais Jensen avait vu Jared combattre. Il ne s'était pas contenté de donner des coups au hasard en comptant sur sa puissance. Son style se basait sur une stratégie, destinée à causer le moins de dommage collatéraux.
Il y avait parfois, comme ça, des exceptions à la règle. Jared en faisait partie. Jensen ne se laisserait pas prendre à son air idiot.
Malgré tout, il n'avait pas vraiment le choix. Jared ne mentait pas, les Paladins en étaient physiquement incapables.
« À une condition, déclara Jensen. Qu'une chose soit bien claire : je ne reste pas. Une fois tout ça réglé, je rentre.
— Oh, personne ne vous retiendra contre votre gré. »
Jensen le regarda d'un air soupçonneux. Jared écarquilla tellement les yeux que Jensen pouvait presque voir des lapins gambader dans le brun-vert de ses iris. Peut-être même brouter une licorne.
Il le sentait très mal.
[…]
Beaucoup plus tard :
« JENSEN ! »
Le roi Eric n'avait pas grandi, songea Jensen lorsque le souverain bondit de son trône et vint le serrer dans ses bras, la tête un peu sous son abdomen.
« Votre Majesté », salua-t-il stoïquement.
Sur le trône, la reine Sera le salua d'un geste de la tête, d'un haussement de sourcil inquiétant et d'un sourire qui ne présageait rien de bon.
« Tu ne nous rends jamais visite, reprocha le roi en s'écartant.
— J'ai beaucoup de travail, Majesté.
— Tu pourrais travailler ici.
— Avec tout le respect que je vous dois, je ne crois pas.
— Toujours aussi solitaire, Jensen, reprocha la reine d'une voix douce tout à fait contraire à sa nature perverse. J'espère toutefois que le séjour te sera agréable. As-tu fait bon voyage ? »
Jensen la regarda d'un air méfiant.
« Oui ?
— J'ose espérer que le Paladin Jared s'est bien occupé de toi. »
Ah. Oui. Jensen retint l'envie de fermer les yeux et de gémir. La reine Sera prenait un malin plaisir à s'intéresser à la vie amoureuse de tous ses proches. Le refus catégorique de Jensen de jouer le jeu l'avait toujours beaucoup vexée.
Et, Jared, bien entendu. Une paire formée par un Paladin et un Sorcier défierait tout en matière de puissance.
Ils espéraient peut-être retenir Jensen ainsi. Ils pouvaient toujours courir. Et de toute évidence, ils ne savaient pas pour Alexis, Sandy et Genevieve. Jared avait d'autres chats à fouetter. Pur de corps et de cœur, hein.
[…]
Et encore plus tard :
« Ohm », annonça la Grâce avant d'apparaitre.
Pas d'éclair de lumière aveuglante, elle ou plutôt il réservait ça à ses Paladins. Jensen grogna à voix haute.
« Vous savez que ce n'est pas à vous que je réponds, hein ? Ce n’est pas à vous que j’ai prêté serment. »
La Grâce le regarda d'un œil bleu paisible dans sa position impossible, les jambes basculées en arrière et par-dessus ses épaules.
« Tout est une question de point de vue, répondit-il d'un air rêveur, suis-je ou non celui à qui tu réponds ?
— Non.
— C'est ton point de vue. Le mien est différent
— De toute évidence, étant donné votre position.
— Toute position peut changer, un fait reste le même, ohm. »
Tuer la Grâce était impossible. Jensen avait essayé.
« Qu'est-ce que vous voulez ? » soupira-t-il.
La Grâce se remit droit d'un bond souple.
« Le monde tu dois sauver, fit-il.
— Moi ? »
Jensen sentit la migraine monter.
« Vous avez des Paladins.
— Le monde ils sauvent déjà.
— Ils nettoient des allées.
— CQFD.
— Pourquoi moi ? » gémit Jensen.
Il n'y avait rien de spécial dans son profil astral de naissance, pas d'étoile particulièrement brillante pour indiquer un destin fabuleux. Les dieux étaient censés le laisser en paix.
« Parce qu'ainsi le veut la Grâce.
— Vous aimez me voir courir.
— Aussi. Surtout en braies. TOUTEFOIS ! »
Jensen sursauta. La Grâce se mit un pied sur la tête.
« Toutefois tu ne seras pas seul. Jared t'accompagnera. »
Ben voyons.
« Il n'a pas le pouce vert, déclara la Grâce. Il ne sait pas faire la différence entre une Rose et un Baobab.
— ..., fit Jensen avant de demander : Et pourquoi ce n'est pas à lui que vous êtes apparu ? »
La Grâce fit mine de réfléchir.
« Il m'est difficile de vous différencier, annonça-t-il enfin. À mes yeux vous formez une entité unique.
— Oh, non, non, paniqua Jensen. NON. Vous n'êtes pas en train de dire que...
— Âmes-sœurs vous êtes, déclara la Grâce sans aucune pitié. Lorsque vous vous rejoindrez, de cœur, de corps, d'esprit, amen, vous formerez l'élément Sacré connu sous le nom de Padackles. Jsquared dans le Sud. Au-delà des montagnes on vous représente sous la figure de Samandean, mais c'est une déviation. »
Jensen se laissa tomber sur le lit.
« Mon profil astral, souffla-t-il. Il n'avait rien de spécial.
— Seuls, vous n'êtes que le quart de la moitié du dixième de vous-même. Ensemble, vous brillez comme une explosion solaire dans une galaxie lointaine. Ohm », ajouta-t-il après un instant de silence.
Un instant, Jensen envisagea de s'enfuir.
Puis on frappa à la porte.
« Ah, ça c'est Jared, fit la Grâce. Bon, c'est pas tout ça, j'ai une maison à construire au Guatemala, je vous laisse. Amusez-vous bien, les petits. »
Sur ces mots, la Grâce claqua des doigts et disparut.
J'ai dit que
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